Pierre de Chanville, cofondateur de TEKYN, partage avec nous son expérience en tant qu’éditeur de logiciel et interlocuteur privilégié d’acteurs majeurs de l’industrie textile avec lesquels le sujet a pu faire débat.
La tentation peut être grande de développer sa propre solution. Les marques, les ateliers, comme certaines organisations dans d’autres industries, sont parfois persuadés qu’une solution conçue en interne répondra mieux à leurs besoins et spécificités qu’un produit développé par un acteur externe et que le coût de revient sera inférieur.
Alors qu’en est-il réellement et quels sont les critères à prendre en considération dans sa réflexion? Pierre de Chanville nous apporte quelques éléments de réponse.
En amont, une nécessaire priorisation des objectifs de la structure
Un développement interne nécessite de se focaliser sur un projet qui se situe en dehors du cœur de métier. Cet investissement se fait nécessairement au détriment d’autres projets plus stratégiques et parfois générateurs de business. Il convient donc de bien peser les pour et contre avant de prendre une décision d’internalisation et de se poser les bonnes questions. Quel est le besoin très spécifique à ma structure qui m’interdit d’utiliser une solution existante? Est-il plus rentable d’investir dans un prestataire de développement ou dans l’adaptation des mes process internes?
Le “no code”, une alternative pour des besoins simples et délimités
Certains sont tentés par les plateformes “no code”, qui permettent de déployer une application ou un logiciel sans maîtriser le langage de programmation. Ce type de solution peut, en effet, couvrir convenablement des besoins bien spécifiques, notamment en termes d’automatisation de tâches. Mais les possibilités de personnalisation restent limitées et les applications doivent, dans tous les cas, être sécurisées et maintenues.
Or, les méthodes habituelles de maintenance informatique n'étant pas disponibles dans le cadre d’un déploiement “no code”, prévoyez de temps à autre des interruptions de service et des temps de mise à niveau de votre outil. Il est souvent difficile de gérer correctement les différentes versions des configurations des outils et de revoir les modifications apportées. Le “no code” peut donc répondre à des besoins délimités tant en termes de personnalisation que de durée de vie.
Par ailleurs, dès lors que le niveau de complexité s’élève, le “no code” n’est plus une option. Il devient alors nécessaire d’arbitrer entre un logiciel standard du marché adapté à son entreprise, généralement plus cher, ou investir encore plus dans projet de développement propre.
Des compétences multiples, pointues et des moyens appropriés
Tout d’abord, rappelons que le développement d’un logiciel ou d’une application est un métier de spécialistes qui fait appel à de très nombreuses compétences et nécessite des moyens adaptés :
- Compétences en gestion de projet constitué d’équipes pluridisciplinaires : définition du périmètre et des fonctionnalités, planning, chiffrage, gestion pertinente des arbitrages,
- Compétences en design de produit : traduire un besoin en une solution digitale est une des étapes les plus chronophages du développement
- Compétences techniques : développement, UI, connexion à des solutions tierces…
- Connaissances légales et intégration des contraintes réglementaires dans le développement produit (ex: RGPD, loi Agec…),
- Disponibilité des ressources sur la durée pour faire évoluer les solutions, corriger les éventuelles anomalies, répondre aux utilisateurs, maintenir l’infrastructure et évoluer avec les OS ou les hardwares…
- Vision moyen/long terme et 360 : évolution de vos besoins, de ceux de votre écosystème, technologies à venir…
Choisir de développer une solution en interne, c’est investir dans tous ces savoir-faire et moyens.
Un arbitrage en fonction des bons critères, sur des bases justes et exhaustives
Les deux principaux arguments avancés pour privilégier une solution « maison » sont : des fonctionnalités non disponibles dans les solutions existantes et le coût facial affiché par les éditeurs : licences, maintenance…
Or, le coût d’un développement interne est généralement sensiblement plus élevé, d’autant qu’il n’intègre pas les coûts cachés et ne peut être mutualisé entre plusieurs clients, comme c’est le cas pour une solution éditeur.
A titre d’illustration, le déploiement et l’utilisation d’un ERP non customisé en mode SaaS pour 50 utilisateurs, incluant tous les services liés à la mise en oeuvre du projet et au maintien de la solution équivaut, la première année, à seulement 1,5 équivalent temps plein d’un développeur. C’est nettement inférieur aux coûts que générerait le développement d’une solution interne! La balance penche également en faveur des solutions éditeurs sur les années suivantes, surtout si l’on intègre les besoins en termes de maintenance et que l’on souhaite faire évoluer les fonctionnalités.
Une bonne évaluation de sa capacité à faire face aux imprévus et à maintenir les solutions
Au-delà du coût, il faut prendre en compte tous les aléas rencontrés. En effet, les surprises peuvent être nombreuses : périmètre fonctionnel mal défini, degré de complexité sous-estimé, rapidité d’exécution des équipes IT surévaluée… avec des impacts inévitables, entre autres, sur les délais de livraison.
Mais ces problématiques ne sont que la face visible de l’iceberg. Encore une fois, il faut penser maintenance et évolutivité. Or, il arrive fréquemment que des équipes internes se retrouvent dans une impasse du fait de choix initiaux, technologiques ou d’architecture, limitants.
Les solutions verticales, une réponse au plus proche des besoins métier
C’est pour toutes ces raisons qu’il est souvent préférable d’adopter une solution du marché, surtout si celle-ci est verticalisée. En effet, une solution verticale est pensée pour répondre de manière flexible aux spécificités des métiers et au fonctionnement de l'industrie qu’elle cible.
Les éditeurs travaillent main dans la main avec un large panel d’utilisateurs. Ils mettent en place une organisation qui incite à collecter et étudier, en permanence, les remontées des utilisateurs. Ils font des arbitrages éclairés, après consultation de différentes structures, pour co-construire une solution qui réponde aux besoins de la majorité tout en la rendant accessible au plus grand nombre et en privilégiant les meilleures pratiques du métier.
Si toutefois des fonctionnalités souhaitées n’étaient pas disponibles dans les solutions existantes, il peut être judicieux de se poser la question de leur réelle pertinence. Les bénéfices inhérents méritent-ils tous les tracas que pose le développement d’une solution “maison”? Il peut également être pertinent de demander aux éditeurs de partager, si possible, leur roadmap. Si ces fonctionnalités sont indispensables aux métiers ou source de réelle plus-value, il y a fort à parier qu’elles seront intégrées dans leurs futurs développements.
Développement d’une vision 360
Dernier point, et non des moindres, sur lequel il faut porter une attention toute particulière : c’est la vision moyen/long terme et 360. Il ne s’agit pas simplement de construire une solution qui réponde aux attentes exprimées de vos collaborateurs. Il faut se projeter, avoir une vision et la partager.
A titre d’exemple, le collaboratif est une des composantes essentielles à prendre en considération. Les utilisateurs, et plus particulièrement ceux du textile, où les différents acteurs de l'écosystème sont interdépendants les uns des autres et en permanence interconnectés, doivent accéder à des outils qui facilitent la collaborativité, la centralisation des données, la fluidité des échanges et la co-construction.
Or, l’intégration de cette composante dans la réflexion a des impacts majeurs sur les développements et sur le mode de fonctionnement que doivent adopter les différents acteurs entre eux. Au-delà des développements, il faut mettre en place des méthodes et une organisation tournée vers l’accompagnement au changement de tous, incluant les acteurs externes.
En conclusion, le choix entre solution du marché et développement interne est stratégique. Ces dernières années, la tendance observée penche nettement en faveur de l’adoption d’une solution existante afin de préserver la trésorerie, rester concentré sur son cœur de métier et bénéficier rapidement d'une solution agile et évolutive.